
- Ah, je vais réveiller Kévin, Maxime, Mathieu et Rosalie alors ?
- Oui, s'il te plaît. Dis-leur de se tenir prêts avant midi et demi.
Sur ce, elle me tourna le dos et se replongea dans sa cuisine. J'obéis aussitôt et allai dans le garage réveiller ma s½ur. Quand j'entrai, l'odeur caractéristique de Rosalie me sauta au visage et la chaleur qu'il faisait dans la pièce m'étouffa. Pourtant j'entrai quand même et allai m'asseoir près de son corps chaud et endormi.
Je passai une main sur son dos brûlant et murmurai :
- Rosalie, lève toi, tu vas être contente. Jacob et sa mère viennent manger à midi.
Elle grogna dans son oreiller et se retourna pour me faire face. Ses yeux étaient gonflés et avant de les ouvrir elle les frotta longuement. Un sourire fendait son visage alors qu'elle me fit signe qu'elle allait se lever bientôt. Je la pris au mot, allumai sa lampe de bureau pour ne pas la laisser dans le noir et sortis. J'en avais trois autres à réveiller. Et pas les plus faciles.
Ce fut le même manège avec Kévin et Mathieu. Je m'attardai un peu plus avec Maxime, qui était plus accueillant et plus doux au réveil. Alors que Mathieu allait me cogner, Maxime me proposait un câlin pour le mettre de bonne humeur. Il me parla dès qu'il ouvrit les yeux et me demanda pourquoi il fallait qu'il se lève. Je lui en expliquai la raison et il me fit un sourire complice avec un clin d'½il. S'il ne faisait pas si sombre, il m'aurait vu rougir et se serait mis à rire.
- Ah, tu dois être contente, non ?
Je lui tapai gentiment l'épaule et me levai.
- Aller, lève-toi ! Il est déjà onze heures et demi.
Il ronchonna et à la place du costaud de dix-sept ans, je vis le petit garçon aux yeux gonflés quand il se retourna et enfouit sa tête dans son oreiller. Maxime et moi avions toujours été proches, déjà petits. Parfois je dormais avec lui ou lui avec moi, nous passions notre temps tout les deux et quand l'adolescence avait débuté, elle ne nous avait pas séparé, au contraire. Je l'aimais énormément et s'il venait à quitter la maison, je serais malheureuse sans lui.
Je retournai dans le salon et allumai la télé. Je ne la regardai pas vraiment, et je laissai mes pensées vagabonder un peu librement. Je pensais à mon bac, mon oral qui me terrorisait. Je n'étais même pas sûre d'avoir réussi l'écrit, donc si je me plantais à l'oral...
J'allais bientôt passer en Terminale Littéraire, dans la même classe que Maxime et Rosalie. Kévin et Mathieu partiraient en Terminale Économique et Sociale. Mon aversion partagée avec Max et Rose pour les maths nous avait empêché d'aller avec Math et Kévin. Cela nous avait séparé, nous qui avions l'habitude de toujours tomber dans la même classe depuis l'école maternelle. Mais ce n'était pas plus mal, au final. Nous avions découvert d'autres personnes, élargis nos cercles d'amis et Rosalie était devenue encore plus populaire.
Puis, mes pensées se tournèrent vers Jacob, et je pensais à son beau visage abîmé par je ne savais quoi. Cela ne le rendait pas moins beau pour autant, mais je ne parvenais pas à l'imaginer sans. Peut-être que ça lui donnait un air mystérieux, car cela impliquait un secret.
Mon c½ur s'affola à l'idée que dans près d'une heure, il serait chez moi, assit à ma table. Mais il y avait Rosalie, sa meilleure amie, et face à elle je ne faisais pas le poids. Il resterait avec elle et moi avec mes frères, comme toujours. Je fus déçue malgré moi, mais contente de m'être remise en place toute seule.
Rosalie était mille fois mieux que moi. Physiquement nous étions des copier-coller, mais elle jouait de ses atouts et de sa belle gueule. Elle attirait les regards, c'était inné chez elle, elle était faite pour briller aux yeux des autres. Ses tenues élégantes la mettaient en valeur, son maquillage soulignait son regard et ses chaussures à talons affinaient sa silhouette.
A côté d'elle, j'étais un vilain petit canard en jean et en t-shirts noirs ou rouges pour la plupart. Je ne jouais pas avec mes cheveux pour les coiffer, je les laissais libres sur mes épaules ou je les attachais alors que Rosalie en faisait de belles coiffures travaillées.
De la colère s'empara de moi. J'étais jalouse, j'en avais honte mais je ne le niai pas. Jalouse de la confiance de ma s½ur en elle, jalouse de son meilleur ami, jalouse de sa beauté et sa classe. J'étais jalouse de ma s½ur pour sa force de présence. Jalouse de...
- Tu regardes les infos, toi ?
Je fis un bond sur le canapé et tournai la tête. Je vis Mathieu s'esclaffer à l'entrée du salon et il vint me rejoindre, toujours en se moquant de moi. Il portait un bermuda en jean et était torse-nu, laissant son corps d'Apollon à la vue de tous. S'il n'était pas mon frère, je baverais devant.
- Alors s½urette, ça va ?
- Plutôt bien, à part que j'ai failli me prendre un coup ce matin en venant te réveiller...
Il passa son bras autour de mon cou et m'attira à lui, et de son autre main frotta mes cheveux. Ah, Mathieu ! C'était son jeu favori en ma présence. Je me débattis et il me libéra rapidement, stoppé par le bruit de la porte. On frappait, ce devait être Jacob et sa mère.
Jeanne était une femme d'une quarantaine d'années, mais elle était très belle. Elle et Jacob avaient les mêmes yeux et la même couleur de cheveux. Ils avaient l'air de venir d'une autre époque tant leur charisme paraissait intemporel. J'allai leur ouvrir et elle me fit un immense sourire en me tendant un bouquet de roses, je m'en emparai et la fit entrer. Juste derrière elle, il y avait Jacob, le beau Jacob avec ses yeux vert émeraude et sa cicatrice...
Je lui souris timidement et au moment où il allait me faire une bise, Rosalie débarqua et lui sauta dans les bras. Je cachai ma déception et me contentai de mettre les roses dans un vase avec de l'eau. Ma mère les porta à son nez et en huma l'odeur. C'était vrai qu'elles sentaient bon.
Jacob finit par entrer, accompagné de ma s½ur. Il me fit deux bises, comme si de rien n'était, et resta avec Rosalie. Ma jalousie refit surface et je vis rouge. Pourquoi ma s½ur avait-elle tout ce que je désirai avoir ? Aussitôt, la réponse me vint comme une évidence. Elle avait tout fait pour ça, pour avoir tout ce qu'elle possédait, la classe, la popularité, les amis, Jacob.
Alors qu'au final, je n'avais jamais voulu impressionner, laissant ce rôle à Rosalie. Je n'avais jamais cherché à avoir plus d'amis qu'elle, ni à lui voler ses chéris. Le seul domaine dans lequel j'étais meilleure qu'elle était les cours. Avec tout ses amis, elle avait beaucoup moins de temps que moi pour bosser.
Durant le repas, j'étais assise en face de Jacob, et entre Maxime et Kévin. Jacob était entouré de sa mère et de ma s½ur, et celle-ci n'arrêtait pas de lui parler de ses vacances. Je remarquai qu'il semblait s'ennuyer, à vrai dire il me fixait.
Mal à l'aise encore une fois, je tenais la conversation à Maxime, tournant le dos à Kévin. Je sentais ses yeux verts sur moi mais je me forçai à ne pas le regarder. M'empourprer au milieu de tout le monde n'était pas une bonne idée. Surtout devant Rosalie.
Nous mangeâmes sur deux longues heures durant lesquelles Jeanne tentait sans cesse d'attirer l'attention de mon père. Elle m'énervait, elle faisait ça sous les yeux de ma mère ! Je sentais la tension de celle-ci et je comptais bien avoir une discussion avec elle. Elle ne pouvait pas permettre ça, mon père devait mettre les choses au clair avec Jeanne. Au plus vite.
Au dessert, je regardai enfin Jacob. Il me fit un grand sourire qui fit rétrécir sa cicatrice, et je me demandai encore comment avait-il pu se la faire. Ce devait être une histoire horrible, ou juste bizarre. Mais une chose était sûre, j'avais envie de savoir.
- Eh, Caro, attends !
Je manquai de tomber à la renverse dans les escaliers et je me retournai sur la personne qui m'avait attrapé le poignet. C'était Jacob, et mon c½ur paniqua dans ma poitrine. Il avait l'air sérieux et détendu à la fois, son expression relevait de la concentration et de la sûreté. Qu'il était beau...
- On va pas en ville ? C'est samedi, je pensais que tu voudrais toujours y aller...
Je pivotais complètement de sorte à lui faire face.
Sa question me troubla, car je pensais qu'il aurait préféré rester avec Rosalie. Mais apparemment, non. Je lui souris et il prit mon sourire pour une confirmation de la sortie, car, sans lâcher ma main, il m'entraîna en bas des escaliers. Sa mère allait s'en aller et fit une bise trop amicale à mon goût à mon père. Elle avait un air fier, sûr et content. Je n'aimais pas vraiment ça, mais je retins mes commentaires.
Jacob attira de nouveau mon attention sur lui.
- Tu veux qu'on aille sur la plage ? Étant donné qu'on est pas loin ça peut être cool, non ?
J'acquiesçai en avalant ma salive. Il était tellement particulier, différent des garçons de dix-huit ans. On aurait vraiment dit qu'il venait d'une autre époque, ou qu'il était allé à l'ancienne école. Il était poli, respectueux, bien élevé et n'était pas vulgaire. Tout l'opposé des jeunes de mon âge.
Cette différence me plaisait autant qu'elle m'effrayait, car je n'avais aucune idée de comment me comporter. Il me mettait en confiance, c'était en lui, et c'était inexplicable. Mais quelque chose clochait.
Nous sortîmes de la maison et allâmes sur la plage en voiture. Il avait son permis depuis deux mois et conduisait d'une façon agile et respectait les limitations de vitesse. Je me laissais bercée par sa conduite agréable tandis qu'il me racontait à quel point il était déçu de redoubler sa Terminale.
- Mais... Minute ! Tu passes en Terminale L toi, non ? Me demanda-t-il.
- Euh... Oui.
- Alors on sera dans la même classe l'année prochaine !
- Ah, sûrement !
Un sourire radieux fendit son visage et ses yeux pétillèrent presque aussitôt. Je souris à mon tour, mais en admirant son beau visage plutôt que de me réjouir de la nouvelle.
Le trajet ne dura que dix petites minutes et il se gara non loin de la plage.
Nous sortîmes de la voiture et nous dirigeâmes vers l'océan. Il était quinze heures, le soleil cognait et la chaleur était étouffante. Au fond de moi, j'avais une immense envie de courir partout avec mes frères et de finir à l'eau habillée, comme nous faisions depuis tout petit. Mais cette fois-ci, j'étais avec Jacob, avec le garçon pour qui j'en pinçais, et je devais me tenir correctement.
- Au fait, le rouge te va vraiment très très bien, lâcha-t-il comme si de rien n'était.
Je balbutiai des remerciements minables et portais mes mains froides à mes joues. J'avais toujours eu les mains très froides, comme si mon sang n'aimait pas trop cet endroit.
La fraîcheur calma mes joues brûlantes et nous continuâmes à discuter ainsi, de tout et de rien sur la plage. Vers dix-huit heures, alors que le temps était déjà plus agréable, je me dirigeai vers l'eau et ôtais mes chaussures. Pieds nus, je m'avançai dans l'océan. Il était froid, agité, mais malgré tout, rassurant.
Je frissonnai et inspirai un grand coup l'air marin. J'eus l'impression de me nettoyer les poumons au sel et à l'eau, et je me sentis revivre.
Jacob fit de même et vint se poster juste à côté de moi. Sans que je m'y attende, il prit ma main et me regarda droit dans les yeux. Je me sentis déstabilisée, mise à nue. Même si une partie de moi me disait de récupérer ma main et de tourner les yeux, une autre, plus forte, m'interdisait de le faire.
Mon c½ur battit de plus en plus vite dans ma poitrine et mes jambes se mirent à trembler.
Qu'est-ce qu'il pouvait être magnifique. Son regard était doux, rassurant, apaisant, protecteur. Un instant, il me rappela le besoin de protéger qu'avaient Mathieu et Maxime envers moi.
Je pensais à eux, à leurs réactions si je venais à être avec Jacob. Je balayai cette pensée de ma tête pour apprécier le moment présent, le moment où il n'y avait que lui et moi sur cette plage, les pieds dans l'eau. Ce moment où malgré ce que je pouvais dire de moi, je me sentais belle, sûre et protégée. J'aimais ce nouveau sentiment, cette estime de soi qui naissait petit à petit dans un creux de ma tête.
Était-ce lui qui me faisait cet effet là ? Si oui, pourquoi ?
Je n'avais jamais eu l'impression de tomber dans les bras de quelqu'un aussi vite, et je me sentis faible, mais tellement bien en ce moment précis.
- Tes frères m'en voudront si je fais ça ?
Il me sourit et mon c½ur et mon sang se figèrent dans tout mon corps.
Mon c½ur tambourinait ma cage thoracique à m'en faire mal, et je n'étais plus sûre de savoir parler. Son sourire voulait tout dire, et j'étais complètement déstabilisée.
- Qu'importe ?
- Et toi, m'en voudras-tu ?
J'eus encore cette sensation qu'il venait d'une autre époque. Qui, aujourd'hui, se serait d'abord inquiété de la réaction de mes frères, et ensuite de la mienne ?
- Non...
Je crus d'abord que mon c½ur allait me lâcher, qu'il allait s'arrêter pour de bon tant il battait fort et vite contre ma poitrine. Mes mains étaient devenues moites, mes jambes tremblaient et malgré tout ça, je me sentais bien. En confiance. J'avais confiance en lui alors que je le connaissais à peine.
Sans lâcher ma main, il caressa ma joue de l'autre et j'eus la même envie, l'envie de toucher son visage, de passer mes doigts sur ses joues, son nez, sa bouche, faire le contour de sa mâchoire en l'effleurant, mais je me retins sans savoir pourquoi. Ses doigts glissèrent de ma joue à mes cheveux, derrière mon oreille, et doucement son emprise se referma sur moi.
Il se pencha. Son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du mien, et il s'arrêta. Son souffle chaud quémandait que je fasse l'autre partie de l'acte, que je m'avance aussi. Je le fis, doucement, lentement, n'étant pas sûre de moi et terrorisée.
Sa bouche effleura la mienne. Il hésitait autant que moi et sa main trembla dans la mienne. Je lâchai un petit sourire, malgré moi, encore une fois.
Sa main se bloqua derrière ma tête et me garda prisonnière de son étreinte. Il pressa ses lèvres chaudes, brûlantes même, contre les miennes et il me sembla alors que le temps s'arrêtait, que la Terre ne tournait plus et que le monde s'était évaporé. Une vague de chaleur me submergea et je passai une main derrière sa nuque, pour ne pas qu'il s'en aille.
Soudain, j'avais peur qu'il interrompe ce baiser, peur qu'il recule et me dise que c'était mal, ou quelque chose comme ça.
Mais il n'en fit rien, et même lorsqu'il décolla nos lèvres, il me garda dans ses bras.
Ce fut à mon tour d'aller chercher sa bouche, avide de ses baisers.
Cicidy, Posté le mardi 04 novembre 2014 17:36
Moi j'ai pas confiance du tout en lui *yeux plissé* et j'espère de tous mon coeur que les parents de Caroline ne se separent pas !